16/06/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

La poésie classique chinoise mise à la portée des enfants

02/01/1984
Le PDG de Yow Fuw: A la recherche de nouvelles formes d'art.

L'expérience originale d'une compagnie privée qui associe poésie, musique et peinture dans un livre-cassette

La poésie, la peinture et la musique—sont chacune une des formes de l'art; mais un poème peut être chanté et les paroles d'une chanson constituer un poème; le propos d'une peinture peut être une idylle, une partition peut être traduite par un paysage concret. Ainsi, Wang Wei (王維, 699-759) poète-peintre de la dynastie Tang, est-il célèbre pour ces mots: shih chung yu hua, hua chung yu shih (詩中有畫, 畫中有詩 la peinture dans les poèmes, et la poésie dans la peinture).

Traditionnellement, les Chinois ont utilisé le terme shih ka (詩歌 ode) pour désigner à la fois les poèmes et les chants. Au long des millénaires de l'évolution de la culture chinoise, la poésie a toujours été étroitement liée à la musique et à la peinture. Cependant, jusqu'à présent personne n'avait présenté ensemble peinture, poésie et musique. C'est pourquoi, lorsque la compagnie Yow Fuw Culture demanda à dix compositeurs et douze peintres d'illustrer soixante-douze poèmes chinois classiques, cela secoua les milieux artistiques et culturels.

Nous avons voulu voir l'homme qui avait lancé ce projet.

M. Wang Hsing-hsuan, directeur général de Yow Fuw, nous a reçus très simplement. Beaucoup plus petit que la moyenne des Chinois, portant des lunettes cerclées de cuivre en chemise blanche et pantalon vert, à 33ans, il ressemble davantage à un représentant de commerce qu'à un directeur général d'une compagnie multimillionnaire.

Il y a environ sept ans, M. Wang Hsing-hsuan fut embauché pour produire des cassettes d'histoires pour enfants. Trois mois plus tard, lorsque le projet fut terminé, la compagnie fit faillite. Refusant d'abandonner son travail, M. Wang Hsing-hsuan proposa aux membres de sa famille—oncles'et tantes—de s'associer à lui pour produire des programmes éducatifs pour les jeunes. II avait redé­ couvert la beauté des vieux mythes et légendes, et était profondément convaincu que l'esprit, l'expérience et l'imaginaire des anciens devaient être transmis aux nouvelles générations grâce à des histoires mises en musique.

"Au début, ce fut extrêmement difficile, se rappelle M. Wang Hsing-hsuan. A ce moment-là, acheter des histoires pour enfants c'était un luxe, Les parents trouvaient que ce n'était pas la peine de payer pour des contes qu'ils pouvaient raconter eux-mêmes. Mais en réalité, les parents, fatigués quant ils rentraient le soir ne racontaient pas d'histoires à leurs enfants, et de toute façon les mères de famille n'en savaient pas assez et ne pouvaient donc pas combler l'affente des petits. Il faut dire aussi que la plupart d'entre nous ne peut pas raconter une histoire d'une manière aussi agréable qu'une casseffe et son livre illustré."

M. Wang Hsing-hsuan explique comment sont conçues les cassettes. Il y a trois sections dans l'entreprise: la première dirige les acteurs et les actrices, la seconde est responsable de l'enregistre­ ment des voix et des effets spéciaux (feulement du tigre, chants d'oiseaux). La dernière section, quant à elle, est chargée de la musique et crée l'atmosphère voulue pour lajeune audience.

Dans une série de cassettes, une conteuse, Tante Blanche, présente le décor et expose l'action, puis raconte l'histoire. "Nous recevons du courrier de nos petits admirateurs pour Tante Blanche". M. Wang ajoute: "Les enfants considèrent certains personnages comme leurs amis. Grâce aux casseffes, ils découvrent des mondes fascinants et merveilleux. De la musique bien choisie, des voix vivantes les amusent, les histoires les enrichissent. A Taïwan, Yow Fuw est devenu le symbole d'une bonne in­ fluence sur les enfants. Les parents offrent nos productions à leurs enfants." La voix de M. Wang Hsin'g-hsuan s'anime quand il nous parle de son succès.

Cette réussite a donné à l'entreprise une certaine liberté financière pour des projets plus importants, "Maintenant, je voudrais présenter, expliquer d'une façon nouvelle notre héritage culturel, de P'an Ku k'ai t'ien (盤古開天, la création du monde) aux temps modernes. Il faut donner la possibilité à nos enfants de comprendre et d'apprécier facilement leur patrimoine et leur société grâce à des réalisations modernes, comprenant la musique."

En 1980, ses collègues et lui ont commencé à mettre au point une formule associant poésie, peinture, musique et calligraphie.

Il a tout d'abord demandé à des poètes et à des critiques de choisir 72 poèmes chinois classiques, puis il a mis quatre équipes au travail.

Il a découvert qu'en général les peintres chinois traditionnels se cantonnaient à leur propre spécialité—un paysagiste ne pouvant produire que des scènes de genre sans inspiration, un portraitiste, des oiseaux et des fleurs conventionnels. Or, pour des illustrations de poèmes, il fallait un homme inspiré.

Le directeur général de Yow Fuw le trouva en la personne de M. Wang Kai célèbre pour avoir su renouveler la composition des peintures chinoises traditionnelles. Pour lui un personnage, par exemple, n'es't pas le simple embellissement du paysage, et il ajoute des êtres et non des figurants aux peintures de la nature. Les compositions de M. Wang Kai, ses images, sa vitalité rythmique et sa touche particulière semblaient faites pour le projet, et Yow Fuw lui demanda de se joindre à son équipe. M. Wang Kai accepta avec joie. Il mit deux ans pour terminer les 72 oeuvres.

M. Kao Ming-te, compositeur et diplômé de la faculté de médecine de Taipei, se découvrit plus de passion pour la musique que pour la médecine. Lorsqu'il rencontra le directeur général de Yow Fuw, il avait déjà composé des accompagnements de musique contemporaine pour des poèmes chinois classiques. M. Kao Ming-te lui présenta deux autres amis compositeurs pour travailler au projet.

Les trois compositeurs adoptèrent de la forme de la ballade. Quelques-unes des nouvelles chansons-poèmes sont à plusieurs voix, telle de Tchangkande Tsui Hao (崔顥之長干行):

"Dites-moi, Monsieur, d'où vous venez. Moi, je demeure à Hengtang."

(Arrêtant sa barque un instant

elle se demande s'ils n'étaient pas

[du même pays.)

 "Ma demeure se trouve près des eaux

[des Neuf Rivières,

Je voyage souvent sur ses rives,

Nous sommes tous deux de Tchangkan,

Nous n'avons pas eu la chance

[de nous connaÎtre

[lorsque nous étions enfants. "

La chanson, divisée en trois parties, est précédée par le son du luth et le bruit de l'eau qui coule. Dans la question, la chanteuse exprime à la fois l'admiration et l’a timidité; la seconde partie est exécutée par un baryton qui montre sa virilité sur l'air de Huang Mei (黃梅調), la partie finale—un fading—indique que les deux êtres sont désormais l'un à l'autre.

"Bien que nos chansons ne soient pas devenues des tubes, quelques-unes ont malgré tout réussi à se frayer un chemin dans les programmes télévisés comme musique de générique. Un jeune garçon qui participait à un concours de poésie pour enfants a remporté le pre­ mier prix en chantant une de nos mélodies," note M. Wang Hsing-hsuan.

Il a demandé à un célèbre trio de folksong, à deux chorales d'étudiants et à d'autres interprètes d'enregistrer avec un orchestre de trente musiciens. "A l'époque, il fallait compter 3 000 yuans (75 $US) par jour pour chaque membre de l'orchestre. Mes amis me traitaient de fou, tout le monde réduisait ses dépenses à cause de la récession, et moi, je jetais l'argent par les fenêtres!"

L'ensemble a été terminé fin 82, et est paru sous le titre de Un Voyage à travers la poésie et la musique chinoises (中國詩樂之旅 ).

La série se compose de dix cassettes, dont cinq instrumentales et cinq vocales, d'un volume Le monde créateur de la poésie chinoise classique (詩之造境), comprenant les 72 peintures de M. Wang Kai et la version anglaise des poèmes faite par Lin Lu, et d'un volume de poèmes écrits au pinceau par des étudiants de l'Ecole Normale de Taïwan, Saveur de la poésie et de la musique (詩樂飄香), complété par la prononciation des caractères, des partitions, des notes explicatives, ainsi que la traduction des poèmes en langue moderne.

Au début de cette année, Yow Fuw a organisé un concert et une exposition pour célébrer l'achèvement de Un voyage à travers la poésie et la musique chinoises. Les média ont en grande partie couvert l'événement, un membre d'un cercle d'écrivains et de poètes a loué publiquement la réusslte de Yow Fow.

Mais il est difficile de contenter tout le monde. Les milieux de la musique classique ont critiqué les nouvelle.s chan­ sons, leur reprochant de manquer de ma­ turité et d'être "de fausses interpréta­ tions des grands poèmes". Pour certains peintres; ces 72 tableaux ne sont que des illustrations, ils ne méritent pas d'être classés parmi les oeuvres d'art.

M. Wang Hsing-hsuan réplique: "Ces peintures et ceffe musique sont destinés grand public. Financièrement, c'est lui qui nous soutient et nous permet de meffre an point de plus grands projets." Il a organisé une nouvelle équipe de travail pour réaliser une nouvelle expérience, en essayant cette fois de réunir musiciens, peintres et calligraphes de renom.

La musique sera présentée comme une pyramide. A la base, ce seront des chansons populaires interprétées par des chanteurs connus et au sommet, des morceaux musicaux plus complexes. J'ai demandé à Mlle Chung Shao-Ian de la ection musicale, comment elle jugeait de la valeur 'd'un morceau. "Ces auteurs ont consacré la moitié de leur vie à la musique, répond-elle, si nous ne leur faisions pas confiance, comment pourrions-nous parler de musique chinoise moderne?"

 

 

 

 

 

 

Le compositeur Tai Hung-hsuan et la pianiste Yeh Lu-na.

Le studio d'enregistrement Platinium possède 24 pistes d'enregistrement. Alors que nous étions là à observer, un technicien a passé un enregistrement du compositeur Tai Hung-hsuan, chanté par Mlle Fan Yu-wen. Mlle Chung Shao-lan me confia qu'il fallait le refaire. Elle m'en montra une copie annotée à l'encre rouge par M. Tai Hung-hsuan, "mauvaise qualité sonore".

"Mes collègues et moi réécoutons les casseffes, en respectant les annotations, explique-t-elle. Lorsqu'il y a des problèmes, nous en faisons part aux chanteurs. Ils sont très compréhensifs et cela ne les gêne pas."

Mlle Fan Yu-wen et Mlle Yeh Lu-na, pianiste, entrèrent dans une salle d'enregistrement, j'en profitai pour de­ mander au compositeur comment il concevait musicalement les poèmes chinois classiques. "Je n'écris pas ma musique pour un style ou un propos défini. Je prends d'abord le temps de comprendre les poèmes, puis quand je me suis imprégné de leur atmosphère, j'écris très rapidement. Je ne compose pas en suivant un poème, phrase après phrase."

La voix douce de Fan Yu-wen et la mélodie nostalgique de Tai Hung-hsuan avaient empli la pièce, et chacun s'était mis à écouter. C'était merveilleux.

 







 

 

Fan Yu-wen, chanteuse d'opéra, au cours d'une séance d'enregistrement.

Mlle Fan Yu-wen interprète la partie difficile à merveille, sa voix devient plus éclatante. "La voix de Mlle Fan est sentimentale, dit Tai Hung-hsuan, elle vous touche et vous entraîne dans son monde. Lorsqu'elle affaque les notes aiguës, son chant est comme un paon faisant la roue. C'est très beau même si elle se laisse quelquefois emporter."

Le compositeur Tai Hung-hsuan enseigne dans plusieurs universités. Bien qu'âgé d'un peu plus de trente ans, il fait preuve d'un caractère si serein que ses élèves l'appellent le "vieux Tai". Ils aiment bavarder avec lui parce que c'est un merveilleux conteur, qui ponctue toujours ses récits de remarques personnelles très fines.

Mlle Fan Yu-wen acheva une chanson et sortit pour l'écouter. M. Tai Hung-hsuan lui dit: "Ton tempo était 'parfait, mais tu pourrais être encore plus décontractée. Ce serait peut-être meilleur; si on allait un peu plus vite." Elle a hoché la tête et s'est assise pour écouter, puis elle est retournée dans la salle où elle a rejoint la pianiste pour recommencer.

Il déclare qu'il laisse les interprètes comprendre sa musique par eux-mêmes, qu'il lui arrive rarement de la leur expliquer. II montre sa partition de de : "C'est une action, je lui ai donné un thème. Lorsqu'une autre action se produit dans le poème, je donne le même thème à l'accompagnateur, mais je le change pour le chanteur. De cette manière, l'ambiance est maintenue."

Mlle Fan a chanté l'opéra occidental pendant des années. Elle a étudié au Conservatoire Giuseppe-Verdi à Milan et a obtenu le troisième prix au concours Giuseppina-Strepponi à Lodi. Grâce à sa riche expérience de la scène, elle a l'expressivité d'une vraie professionnelle.

La pianiste Yeh Lu-na s'est rendue en Australie à l'âge de quinze ans pour y continuer ses études. Sept ans plus tard, quand elle est revenue à Taïwan; elle a immédiatement séduit la critique musicale locale. En plus des concerts qu'elle donne à Taïpei, elle enseigne à l'Ecole Normale de Taïwan. Agée de 26 ans, petite, le teint clair, elle ressemble encore à une collégienne.

Alors que Mlle Yeh Lu-na jouait les dernières mesures, M. Tai Hung-hsuan nous fit remarquer avec émotion: "Ecoutez, voilà son style allemand. Elle pourrait être un tout petit peu plus douce, plus suave. Elle est très influencée par son mari, pianiste allemand. "

La séance d'enregistrement suivante était celle des quatre chants de M. Ma Shui-Iong. Sa musique est très fluide, très chinoise, même si l'on peut sentir l'emploi de techniques occidentales. Ses trois premiers chants furent terminés assez rapidement, mais pour le dernier, plus difficile, les techniciens décidèrent d'attendre le compositeur.

J'ai demandé à Mlle Yeh Lu-na de comparer les oeuvres des deux compositeurs. "Les oeuvres de M. Ma Shui-Iong sont beaucoup plus structurées, m 'a-t-elle répondu, il sait parfaitement ce qu'il veut rendre. Celles de M. Tai Hung-hsuan, comme sa personnalité, sont faciles, sans structure définie, cependant, vous ne pouvez nier qu'il a énormément de talent. "

Mlle Fan Yu-wen, répondant à la même question: "J'admire le courage de Yow Fuw. Vous avez pu apprécier les oeuvres des deux compositeurs. Elles ne sont pas faciles à comprendre. Au point de vue commercial, Yow Fuw prend de gros risques. Mais devons-nous renoncel; laisser tomber une telle musique? Non, c'est impensable. Sinon, la société ne progresserait pas. Les chansons classiques ne sont pas des chansons de variété, plus on les chante, plus on les aime."

M. Tai Hung-hsuan interrompt: "Si vous voulez de la musique douce, fàcile, je peux vous en écrire en cinq minutes." Mlle Fan Yu-wen sourit: "Pourquoi ne l'as-tu pas fait?" M. Tai Hung-hsuan répond: "j'ai franchi ce stade depuis longtemps. Et puis, on se lasse vite de la musique.fàcile."

A trois heures, M. Ma Shui-Iong n'était pas encore arrivé. Je décidai de l'appeler plus tard à l'Institut national des Arts où il assume la charge de doyen de l'Ecole de Musique. Le concerto pour pang tide M. Ma a été interprété par l'Orchestre symphonique national des Etats-Unis, dirigé par Mstislav Rostropovitch, cet été lors de sa venue à Taïwan.

J'ai demandé à M. Ma Shui-Iong ce qu'il pensait des "anciens poèmes re-chantés."

Un voyageur solitaire sur le poème Le retour, de Ho Ching-chang.

"Nos vieux poèmes ont un rythme marqué et les caractères du chant. De nos jours, nous aimons les chanter et les entendre, mais nous les ressentons différemment." Ses quatre chansons pour Yow Fuw ont été composées sur une période de huit ans. L'une, "Le buveur solitaire et la lune" a été écrite en Allemagne Fédérale, où il était en contact avec des chanteurs exceptionnels. Il l'a rendue particulièrement complexe.

Je lui ai demandé pourquoi il s'était associé à Yow Fuw. "Ils m'ont demandé de contribuer à faire apprécier à la jeune géneration et grâce à la musique notre riche héritage culturel. L'idée m'a plu et j'ai accepté. Ca m'est égal qu'on utilise mon nom pour des propos commerciaux, tant qu'ils restent Itonnêtes et qu'ils profitent à tous. En outre, Yow Fuw respecte la musique et les musiciens."

Ma Shui-Iong, Tai Hung-hsuan, Fan Yu-wen et Yeh Lu-na. sont au sommet de la pyramide musicale de Chung Shao-lan. Le second projet est en voie d'achèvement et permellra de nouveaux progrès artistiques et, pour la jeunesse chinoise, une plus grande diffusion de l'héritage culturel. ■

Promeneurs sur le Lac de l'Ouest d'après le poème Le Lac de l'Ouest, de Lin Hung.

Pour Une chanson pour l'escalade de la tour Yu-chou, de Cheng Tzu-ang: le poète égaré sur un pic solitaire.

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